"La campagne contre le sucre est amplement justifiée. La nocivité de ce sous-produit de la culture industrielle de la betterave bénéficiait, jusqu'à ce que les langues se délient, d'une omerta qui ne peut se comprendre que par la terreur que faisait régner le syndicat des sucriers et des betteraviers. Le danger du sucre ne se limite malheureusement pas aux caries dentaires et au pourrissement des dents qu'elles provoquent, le risque est aussi celui des infections gingivales, portes d'entrée à la septicémie et à l'endocardite hélas encore trop souvent fatale. Non, le danger que fait courir le sucre, 1 fois sur 100, est beaucoup plus torpide, larvé, hypocrite, c'est celui du diabète gras et de ses horribles complications qui, après une petite cinquantaine d'années finissent par avoir le dessus, sauf en cas de mort accidentelle préalable. Mais on le sait maintenant, le sucre, ce glucide raffiné est responsable de presque toutes les entrées à l'hôpital public et donc de ses problèmes.
Le sucre est un grand coupable. Le scandale, j'ose le terme, le scandale est qu'il soit en vente libre dans toutes les épiceries et pas seulement. Il s'exhibe, en effet, sous une forme cachée, dans les gâteaux de toutes les pâtisseries qui envahissent, vous l'avez remarqué, les rues et les artères les plus commerçantes.
Quand on sait, comme moi et bientôt comme vous, qu'une raffinerie de pétrole est comparativement à une raffinerie de sucre une aimable distillerie écologiquement et biologiquement conforme aux recommandations du haut comité d'hygiène industrielle, on ne peut qu'être effrayé par la mansuétude et l'indifférence du pouvoir public. Il tolère sa présence dans les confitures, les sodas, le pain d'épices alors que l'huile, le beurre, ces post-biotiques, indispensables compléments alimentaires de la charcuterie et du fromage sont considérés avec un dédain voisin de la répugnance.
Ce discours, chère madame, me tenait à cœur avant que vous partagiez ce gâteau qui va clore ce repas magnifique. Sa beauté paraît être un hymne au sucre et il me fait frissonner rien qu'à le regarder.
Un dernier mot avant que vous ne l'entamiez. Je suis d'accord avec les recommandations de l'Académie de médecine qui a demandé que l'usage du sucre soit réservé à ceux dont l'espérance de vie est proche de ses limites et dont la disparition sera une bénédiction pour les héritiers, mais surtout pour les caisses de retraite et la SS.
Chère madame, je crois que vos jeunes convives vont plutôt reprendre du fromage, comme ils ont raison, il était délicieux et tellement gras! Quant à moi, qui n'ai plus rien à espérer, ce gâteau ne me fait pas peur, j'étais à la légion, je suis prêt à l'affronter, à lui faire honneur, dût-il m'en coûter. Vous pouvez me servir largement, j'en reprendrai même, s'il le faut, tant pis pour moi."
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