Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


dimanche 16 mars 2014

MA MINUTE EST À VOUS

« Navrée de ne pas avoir donné signe de vie mais je n’ai pas une minute à moi ».
« Vous êtes toute excusée, c’est un cas de force majeure. Mais, dites-moi, vos minutes, si elles ne sont pas à vous, elles sont à qui ? »
« Mais à tous ceux qui me les prennent ou à qui je suis forcée de les donner.. Comme si je ne savais pas quoi en faire. Vous allez me plaindre quand je vous dirai que ça commence dès le matin.
À peine réveillée par la cloche de l’église, je dois répondre au téléphone à la cousine qui me raconte le cauchemar qui l’a tenue éveillée le temps de se rendormir. À peine le temps de raccrocher et c’est  le petit déjeuner de l’autre qui veut toujours être servi le premier sous prétexte qu’il doit partir travailler et préparer les assiettes du chat, du chien et elles sont difficiles, les satanées bestioles. À peine le temps d’avaler un café crème que le devoir m’appelle. Le ménager s’entend. J’ai à déplacer la poussière qui s’est accumulée depuis la veille, à changer l’eau des fleurs, à cirer le parquet de la chambre des invités au cas où quelqu’un débarquerait par surprise. À 10 h 20 c’est le potager qui me réclame et il faut préparer le terrain pour les petits pois, les carottes, les navets, les haricots, les pommes de terre elles sont déjà en place. Elles aiment pas attendre, les sacrées Charlottes et les Belles de Fontenay. Le temps de m’écailler les mains de la saleté et c’est la Nouvelle République qui veut que je lui donne mon avis sur les dernières nouvelles du canton et du monde. C’est pas brillant. Ça se chamaille, ça se fait la guerre, ça se dispute et c’est contagieux. À 2 lieues d’ici le père Gaston, un vieux avec qui j’étais en classe, il vient de se faire piquer ses sous par une bande de galopins qui l’ont laissé sur le carreau, quasi-mort. C’est y pas malheureux ! Après avoir épluché la liste des nouvelles veuves, je fais quelques mots fléchés pour entretenir l’intellect et pas avoir à chercher les mots dans le dictionnaire, d’autant que je me rappelle pas où je l’ai mis. À midi tapant, je dois m’activer pour préparer le repas de monsieur qui rentre pour se mettre les pieds sous la table. Il veut pas de la gamelle comme les autres. Il doit manger dans une assiette, le môssieu. Et difficile en plus. Du réchauffé de la veille c’est pas pour lui.
Après l’avoir réexpédié vite fait mais bien fait, jamais de reproche, j’ai ma fierté, j’essaie bien de grappiller une ou deux minutes pour avoir une pensée pour moi : me souvenir d’un moment agréable. Mais pas moyen. C’est la sonnette qui cloche et la voisine, cette langue de vipère qui vient me demander comme tous les jours si j’ai pas aperçu son Médor, un chat castré gros comme un squelette et qui vient me voir pour essayer d’avoir moins faim. Le pauvre. Je la réexpédie vite fait, mal fait, la mégère, à ses oignons. Je ferais bien une grande sieste mais c’est pas le moment car c’est celui de partir rejoindre la compagnie des folles au club du troisième âge de la maison d’action civique et sociale pour le bien de la population rurale en zone de désertification accélérée (M.A.C.S.B.P.R.Z.D.A.). On y a un entraînement à la belote coinchée avant le grand tournoi intercantonal du mois prochain. On aimerait bien ne pas finir dernier comme chaque fois. Et cette fois-ci on a débauché un coach super. Elle a fait partie de l’équipe qui, l’année dernière, a failli parvenir en demi-finale du tournoi d’élimination au championnat régional. En tant que suppléante adjointe à la remplaçante en titre, je me dois de participer à l’enseignement des techniques d’intimidation et de dissimulation qui font que la belote coinchée ressemble beaucoup au poker d’as.
Je rentre à la maison vers 17 h 30, épuisée de l’effort de concentration. Je mets au clair mes notes, mémorise la stratégie qui ne doit pas faire oublier la tactique. C’est ce qui a permis à Napoléon de gagner à Austerlitz ne jamais l’oublier, nous a martelé le coach qui connaît tout sur tout. Je savais pas moi que Napoléon avait été jouer à la belotte coinchée à Austerlitz, salle Wagram aurait été plus près de l’Élysée.
Je repars au jardin car l’arrosage des fleurs ne veut pas attendre et il va être 19 heures. Monsieur, après ses discours et une partie à La Boule joyeuse il, va réclamer à corps et à cris son boire et son manger comme si j’avais eu du temps à passer dans la cuisine. Je me dépêche donc avant qu’il arrive. J’ai même pas le loisir de vous offrir un petit gâteau, une eau de vie, une cerise ou un café. Ça aurait été de bon cœur, mais comme vous l’entendez, j’ai pas une minute à moi pour pouvoir vous la donner à vous ».

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